samedi 17 janvier 2009

L'enjeu de l'opinion en débat

Dans le cadre du Festival de la Publicité de Méribel, les Ateliers de la Performance Client ont réuni Thierry Saussez, Pierre Giacometti et Alain Péron pour débattre de « l’enjeu de l’opinion ». Qu’il s’agisse de communication gouvernementale, de communication corporate ou relationnelle, comment aborder cette question de l’opinion ? Ces trois experts de l’Opinion et de la Communication échangent leurs points de vue, convictions et réflexions.

Un débat animé par Nathalie Rouvet, In Between

Opinion publique et communication gouvernementale : quels sont les enjeux et les grandes orientations du SIG en 2009 ?

Tout d’abord, mettre harmonie la communication gouvernementale avec le rythme présidentiel. Jamais il n’a été mené autant de réformes et pris autant de mesures depuis 1958. On ne peut pas revenir aux fondamentaux de la communication rêvée, à la séquence idéale : enjeux puis mesures que l’on va prendre, puis accompagnement de la mise en place des mesures, suivie d’une communication de preuve sur les résultats obtenus. L’enjeu est aujourd’hui de se donner les moyens d’intervenir d’une façon adaptée au rythme présidentiel et à la période de crise que nous connaissons.

" L’année prochaine nous maintiendrons les investissements publicitaires de l’Etat. En cette période de crise, nous ne les augmenterons pas, mais nous les maintiendrons "


Nous allons renforcer la puissance de la communication gouvernementale. L’Etat annonceur dispose d’un budget de 100 millions d’euros H.T. par an, c’est-à-dire 5 fois moins que les Anglais. Cela représente environ 50 campagnes par an, soit en moyenne 2 millions d’euros investis par campagne. Autant dire que l’on ne touche pas tous les Français avec chaque campagne. Il est essentiel, dans ce cadre budgétaire, de réussir à donner plus de puissance et d’efficacité à la communication gouvernementale, donc d’être moins fragmenté. C’est pour cela que nous mettons en place un planning stratégique : il s’agit de déterminer les priorités, les grandes campagnes comportementales bien sûr, ainsi que celles qui permettent de faire face à la période actuelle et aux enjeux prioritaires. Par exemple, le plan de relance, le RSA, ou encore les services à la personne. D’autres campagnes, non prioritaires car n’ayant pas pour vocation d’atteindre l’ensemble de l’opinion publique, seront traitées différemment(par exemple sur internet).

Il nous faut aussi améliorer la capacite de proximité et d’écoute de l’Etat, jugée encore trop faible. Le 3939 est connu - on l’appelle quand on veut changer de passeport - mais quand il s’agit de poser une question ou d’envoyer un témoignage au gouvernement, c’est beaucoup plus compliqué. Un groupe de travail a été mis en place pour activer la communication gourvernementale au niveau des départements et des régions via les préfets. Il y a énormement de choses à faire pour relayer les campagnes gouvernementales, mais aussi pour faire remonter de l’information et des témoignages des Français. Il nous faut réussir à mettre en place des processus plus réactifs et plus interactifs, notamment sur Internet. Mais il s’agit de gérer des contraintes beaucoup plus fortes que les annonceurs classiques, pour pouvoir faire face à des flux de questions probablement très elevés, et mettre en place des systèmes de validation des réponses, car elles engagent la puissance publique.

" Il faut rendre l’Etat stratégique, arrêter l’empilement "


Au global, il nous faut être plus réactifs, interactifs, capables d’intervenir vite, et disposer de moyens adaptés pour le faire. La communication gouvernementale doit donner le sentiment à tous que l’action est forte, son rythme rapide et qu’elle répond aux attentes et questions que se posent les Français.
Les grandes fonctions du SIG, le Service d’Information du Gouvernement :

Analyser les medias et les débats sur internet, les attentes et les positions de l’opinion pour faire remonter à l’exécutif l’ensemble des éléments dont il a besoin. Etudier les signaux faibles, analyser de façon fine les enjeux des débats dans le pays et des attentes des citoyens.

- Labelliser les campagnes de communication, coordonner en liaison étroite avec les ministres l’ensemble des actions, des événements et des campagnes gouvernementales tout au long de l’année.
- Animer les sites du Premier Ministre et du gouvernement, développer l’image et créer France.fr, le portail de la France à l’intérieur et à l’extérieur.
- Coordonner la communication de crise sur les cinq grandes typologies que sont les menaces liées au terrorisme, les risques sanitaires, les risques technologiques, les risques géologiques et hydrauliques et les risques météorologiques. Ce service de gestion de crise, probablement le moins connu, est pourtant très performant avec par exemple un site sur la grippe aviaire.

Deux nouvelles dimensions ont été mises en place récemment :

- Un service des relations extérieures qui pilotera notamment un club d’entreprises privées et publiques susceptibles de devenir partenaires du gouvernement dans différentes actions.
- Un rôle actif en matière de conseil des membres du gouvernement. Le rôle de conseil s’est illustré par exemple début août 2008 par la demande de réallocation d’environ 12 à 15 % des budgets communication des ministères en faveur du SIG, l’échelon central de la communication gouvernementale. L’objectif est que ces moyens, en remontant au central, permettent de faire face à des besoins spécifiques de campagnes avec la rapidité d’action, la réactivité indispensable.


Pierre Giacometti, Alain Péron, vous êtes des spécialistes de l’opinion publique. Comment abordez-vous ces questions au sein de votre cabinet de conseil ?

Pierre Giacometti - Nous partageons, Alain et moi, des expériences différentes mais des constats communs : que l’on raisonne « relation client » ou « opinion publique », les problématiques sont souvent les mêmes. On parle beaucoup de l’infidélité des consommateurs et de l’instabilité des comportements. Or nous constatons en réalité que derrière ce discours de l’infidélité et de l’instabilité, on trouve avant tout une démultiplication de la donnée, des clients submergés par ces données qui créent l’impression, trompeuse, que plus rien n’est stable.
L’observation des opinions et de la transformation des comportements est devenue de plus en plus difficile, avec cette masse de données souvent contradictioires en apparence. Et s’y ajoutent les différences que l’on peut constater entre données et comportements effectifs !

« Les communicants sont des professionnels de l’enthousiasme et de la persuasion, quand côté études, se trouvent plutôt des professionnels du doute et du scepticisme »


Or, il y a en fait plus d’inertie et de freins aux modifications de comportement qu’on ne le pense et qu’on ne le dit. L’instabilité reste toujours minoritaire, même si elle est un peu plus présente.

A ces constats s’ajoute une intuition simple : nous connaissons également une certaine crise des émetteurs, des élites, des systèmes de représentations, des medias et de la confiance dans les médias, et plus généralement de tout ce qui vient d’en haut. De ce fait, les individus et les publics observent, analysent, comparent. Ils sont plus exigeants en tant que citoyens et en tant que consommateurs. Et ils sont beaucoup plus distants par rapport à l’émetteur et à l’autorité que représente l’émetteur.

C’est dans ce cadre d’inertie des comportements, de défiance, de méfiance vis-à-vis des émetteurs, que nous intervenons pour nos clients, et nous attachons tout d’abord à faire le tri dans la donnée, à l’analyser de façon fine. Puis, sur la base de ce diagnostic, nous travaillons sur les messages et les bonnes façons de transmettre les bons messages.

« Dans le doute le client a plus tendance à croire l’émetteur proche de lui, qu’un émetteur plus lointain ».


Alain Péron - Je viens de la communauté de l’expérience et de la relation client, qui est très différente de celle de la communication publicitaire. La communication, c’est là où les marques se projettent dans l’avenir, vers ce qu’elles veulent ou prétendent être, pour tirer en avant le marché et le consommateur. L’univers de la relation client porte sur une réalité moins attrayante, avec des études de satisfaction client qui ne bougent pas, ou des expériences déceptives. Les choses sont plus longues à changer dans les comportements que dans les esprits. C’est une banalité, mais on change plus facilement d’avis que d’habitude ! La vraie difficulté n’est pas simplement de convaincre, c’est de faire changer les gens.

« Quand la communication est contredite par l’expérience client, elle est formidablement fragilisée »


Ce qui est en train de se passer - que l’on appelle la communication engageante - est rendue possible grâce à internet et aux technologies au sens large. Elle décrit un enjeu essentiel : mobiliser les gens. Et mobiliser, c’est à la fois faire agir et faire répéter.

La première chose, c’est de faire agir, parce que l’on constate que les gens n’attendent pas d’avoir changé de croyance pour commencer à changer de comportement. C’est plutôt l’inverse : ils commencent à changer les comportements par petits pas, et après, petit à petit, ils adoptent les croyances qui vont avec.

On voit ce système à l’œuvre par exemple pour l’environnement : pendant des années, on a eu des gens extrêmement concernés par le sujet, mais qui ne faisaient rien. Les changements ont commencé à se produire quand on a donné aux individus la possibilité d’agir. Et le fait de les mettre en mouvement renforce la croyance. C’est d’ailleurs un des axes de la campagne de Barack Obama, dont nous reparlerons : ne pas seulement dire mais permettre de faire.

La deuxième chose, c’est de faire répéter les gens. Cela permet d’augmenter la quantité de messages de façon exponentielle, d’être repris, copié, transmis, chacun devenant ainsi un émetteur et donnant au dispositif une puissance inégalée.
Pierre Giacometti, quels sont les trois enseignements majeurs des élections américaines en matière de stratégie d’action face à un enjeu d’opinion ?

Premier enseignement, la répétition

La répétition comme réponse au problème d’inertie, d’abstention du clan démocrate, comme en France à l’occasion des élections prudhommales. La question essentielle de cette campagne américaine a été de persuader de voter, et avant même de voter, de persuader d’aller s’inscrire. Dès lors, il y a eu répétition systématique de quelques messages-clés. « Ne vous contentez pas de huer, de protester, allez voter, déplacez vous » était systématiquement repris, martelé dans tous les discours, ce avant même de valoriser le candidat et ses thèmes. On a cherché à mobiliser, même le jour du vote : les messages ont duré jusqu’au dernier jour, non pas de la campagne mais du vote, avec un message le matin à 8 heures « allez voter » un second à 15 h « si vous avez oublié allez- y » un troisième à 23 h, quand le résultat a été connu mais avant la prise de parole du président. Chaque individu impliqué dans le soutien à Barack Obama a reçu en avant première un message et le discours de remerciement, mentionnant aussi qu’il était toujours d’actualité de donner de l’argent !

Deuxième enseignement, mobiliser par les actes

Cette campagne a cherché à mettre les gens en mouvement presque plus par les actes que par les messages. Barack Obama a fait lui-même du porte à porte. Au-delà de la question d’internet, des bases de données, du téléphone, la grande force de cette campagne a été l’alliance d’internet et du porte à porte, de cette formidable puissance de mobilisation visant à aller voir les gens chez eux et à les faire voter. On a vu l’efficacité remarquable de la combinaison entre la communication - un message très fort -, un candidat qui suscite l’enthouhousiasme, l’adhésion de milliers de gens qui disent « j’ai envie de faire quelque chose, j’ai envie d’aider », et une organisation qui a prévu les moyens pour les faire participer.
Obama lui-même est briefé en amont du porte à porte, il sait chez qui aller, il connait les messages à délivrer. Le porte à porte renforce la conviction à la fois de ceux qui le font et de ceux qui le reçoivent.

Dernier enseignement, la construction du message

Un moment majeur de ces élections a été la « campagne publicitaire », l’émission de 30 minutes à une semaine du scrutin. La première minute trente de ces 30 minutes est formidable, c’est un condensé de ce qu’il faut faire : un bon diagnostic sur la situation économique, une bonne première réponse d’optimisme, et la valorisation des acteurs essentiels, les citoyens électeurs. Cette « réunion » de la qualité de l’émetteur, de l’incarnation qu’il amène, et de la valorisation des citoyens acteurs est un exemple à suivre.

29/10 : Le clip événement de Barack Obama (30 minutes)
envoyé par LepointTV

Sur quels thèmes devraient se structurer les enjeux d’opinion dans les mois à venir, tant pour le gouvernement que pour les entreprises ?

Alain Péron - Nous ne faisons pas de la prospective, mais évidemment, le premier enjeu, la première attente concerne le rapport des citoyens à l’Etat. La crise renforce le besoin de protection et les attentes l’éléments tangibles qui expriment cette protection, on l’a vu dès cet été.

Pierre Giacometti - Quand on regarde des enquêtes sur le rapport à l’entreprise, on détecte des interrogations de fond sur les évolutions des mentalités des salariés dans leur rapport à l’entreprise. Ce sont là des problématiques de communication interne, qui concernent la mobilisation et la motivation des salariés. Cette question de la communication interne, de la relation aux salariés et aux dirigeants va peser clairement sur un certain nombre d’enjeux de communication dans les mois à venir.

Thierry Saussez - Il y a un point commun entre 2007 en France et les élections américaines. Il y a mobilisation quand les citoyens considèrent qu’il y a un enjeu fort, l’enjeu est le premier levier de mobilisation. En France, ces enjeux se poursuivent avec le sujet des réformes dans cette période de crise. On voit une vraie lucidité de l’opinion concernant l’importance de continuer à reformer pendant la crise.
Qu’est ce que le gouvernement prévoit en matière de Développement Durable, concernant les mesures prises et les nécessaires changements de comportements ?

Question d’Agnès Rambaud-Paquin, des Enjeux et des Hommes

Thierry Saussez - Nous sommes là, de toute évidence, sur un programme de plusieurs années avec des moyens importants, via l’Ademe, et des campagnes régulières, importantes autour de trois thèmes : quels sont les enjeux, quelles sont les politiques publiques mises en œuvre (notamment les mesures nouvelles qui vont se décliner durant l’année) ? Quels types de comportement chacun en tant que citoyen doit- il mettre en œuvre ?

Alain Péron - On constate aujourd’hui un grand scepticisme dans l’opinion sur le développement durable, plus on en parle moins les gens y croient… Pourquoi ? Simplement les individus s’interrogent « Comment une entreprise qui a gagné sa vie pendant des années en me faisant dépenser plus va maintenant être profitable, car je sais qu’elle est là pour faire du profit, en me faisant dépenser moins ? Leur intéret c’est que j’en consomme plus ».

Il faut traiter cette difficulté à comprendre et à faire comprendre qu’il s’agit là d’un nouveau business modèle, qu’il s’agit pour l’entreprise d’une nouvelle façon de gagner sa vie, d’être profitable, que ce n’est ni un cadeau ni du mécénat à l’égard de la société. C’est très important, et on n’y est pas. L’enjeu de ce nouveau business modèle, la difficulté à laquelle les entreprises font face, c’est réussir à faire passer l’idée que l’elles ne font pas ça pour être gentilles mais parce que c’est leur nouvelle façon de gagner de l’argent.

L’enjeu du coté de l’opinion, en matière de comportement , est « comment s’adapte-t-on à la rareté ». Les gens ont compris cette dimension, la rareté des moyens, en pouvoir d’achat et en ressources. Simplement ils disent : « c’est à vous de trouver les technologies pour vivre tout aussi bien en étant économes. On veut bien faire attention mais on ne veut pas se priver ».

Pour résumer, les attentes par rapport à l’entreprise s’expriment ainsi : « ne nous faites pas la morale, ne nous dites pas que vous êtes devenus des saints, mais aidez nous en nous donnant les moyens de devenir des bons citoyens, on se comportera bien ».

On parle de stratégie d’opinion pour le gouvernement ou pour les entreprises. Quelles sont les simitudes, quelles sont les différences ?

Pierre Giacometti - Ce qui est important c’est le poids de l’incarnation, des messages incarnés par des personnes. Si je prends l’exemple de l’Europe, de la communication européenne, la seule réussite a été le passage à l’euro, avec un message incarné et concret. C’est l’absence d’incarnation qui favorise l’abstention. Aux Etats Unis le message a été incarné par un candidat qui est le message lui-même. Pour les entreprises c’est la même chose. Nous nous concentrons sur la qualité du(es)messagers car nous pensons qu’au-delà des dispositifs de communication, les publics sont de plus en plus sensibles à la qualité des messagers, dont la crédibilité, l’accessiblilité sont des dimensions essentielles. Une bonne campagne corporate pour une grande entreprise, c’est bien, mais c’est encore mieux si le ou les dirigeants s’approprient le message, s’en imprégnent. Le rôle des dirigeants est capital, c’est pourquoi nous prenons aussi beaucoup de temps pour sculpter, modeler les messages, chosir les mots. Une seule formule ne peut pas tout résumer et l’on est multicible : du cadre dirigeant au salarié plus modeste, comme du citoyen très actif à un qui l’est beaucoup moins, on doit faire très attention à la sémantique des messages, en politique comme en entreprise. C’est la même chose, surtout en période de crise, de défianc e à l’égard de l’autorité et de ses messages

Thierry Saussez - La méthodologie est la même pour la communication publique ou privée. Mais un homme, une idée, une mesure ou un comportement ne sont pas assimilables à un produit. Selon qu’il est citoyen ou consommateur, le récepteur décode différemment les messages même lorsque ceux-ci utilisent les mêmes supports.
Pour rebondir sur ce que vous disiez tout à l’heure, sur les dirigeants d’entreprise et leurs qualités de messagers, selon vous c’est qui le Barack Obama du monde de l’entreprise ?

Question de Laurent Calixte, Challenges

Pierre Giacometti - Il y a des personnes qui ont compris tout cela depuis longtemps. Leclerc par exemple. La communication, les campagnes Laclerc, leur pertinence, leur caractère incisif et provocateur n’ont de sens et de force que parce qu’un messager les accompagne. Si ce messager était complètement inconnu du grand public et ne s’exprimait jamais, le message aurait probablement moins de force. Voilà quelqu’un qui est très acteur dans la démarche.

Plus largement, aujourd’hui, toutes les entreprises ne sont pas soumises à la même pression, mais beaucoup d’autorités publiques ou privées sont exposées à l’opinion publique, aux crises, aux consommateurs, à l’actualité. On n’imagine pas leur président, leurs dirigeants rester silencieux. Ils doivent au contraire intervenir pour expliquer, rassurer, les clients mais aussi l’interne. Ce qui est intéressant ces dernières années, c’est que certes il y a le messager central, les dirigeants,mais aussi de plus en plus la prise de conscience que l’on est obligé de s’appuyer sur des relais internes, des acteurs capables de bien relayer le message. Il n’y a pas qu’une parole, qu’un seul protagoniste, mais un ensemble d’acteurs qui tournent autour du même message. Comme cela a été le cas pour la campagne de Barack Obama.